Affaire de la dioxine
de l'incinérateur
de Gilly-sur-Isère

Pierre Ivanes

La Réglementation

retour à la page d'accueil du site

Pierre Ivanès, environnement, écologie et déchets : la pollution à la dioxine de l'incinérateur (UIOM) de Gilly-sur-Isère, Albertville, Savoie. Réglementation, pesticides, lois, circulaires, PCDD

et se reporter au glossaire pour les termes techniques.


QUELQUES DEFINITIONS


Pesticide et micro-polluant

Pesticide (anglais) : littéralement agent qui tue, un fléau ou un prédateur (pour l'homme).

micro-polluant : agent de pollution qui agit à très basse quantité. Les micro-polluants ont des seuils exprimés en nanogramme (3), notamment pour les incinérateurs. Les autres industries polluantes ont des limites réglementaires qui sont généralement exprimées en milligramme (1) par m3 de rejets, voire en microgramme (μg)(2) : 0,1 mg = 100 μg.

(1)milligramme : 1 millième de gramme (1 mg = 10-3 g = 0,001 g)

(2)microgramme : 1 millionième de gramme (1 μg = 10-6 g = 0,000001 g)

(3)nanogramme : 1 milliardième de gramme (1 ng = 10-9 g = 0,000000001 g).

Un exemple simple : le sulfate de cuivre. Il est un pesticide en agriculture, et un micro-polluant potentiel par son cuivre.


PCDD/F (Poly Chloro Dibenzo Dioxines ou Furannes)

Ce sont deux familles d'organo-chlorés, essentiellement générés par une combustion.

La PCDD de Seveso (la tetrachlodibenzo dioxine) est la plus toxique de la famille, et sert de référence pour la toxicité des autres membres des PCDD/F (voir TEQ).

Les limites/seuils d'émission dans l'air sont toujours à ma connaissance de 0,1 nanogramme par m3 de fumées.


PCB (Poly Chloro Biphélyles)

C'est une famille d'organo-chlorés, qui sont également bien connus du grand public.


Métaux Lourds

Ce terme, essentiellement médiatique, est progressivement remplacé par celui d'"Elément Trace Métallique" (ETM), qui va devenir le terme scientifique définitif;

Sous cette appellation générale sont rassemblés tous les métaux pouvant s'accumuler dans notre organisme :

Les trois ETM qui sont actuellement considérés comme les plus toxiques sont le plomb (Pb), le mercure (Hg), et le cadmium (Cd);

Il y en a beaucoup d'autres dont parfois on ne soupçonne pas le risque potentiel de toxicité.

Certains ETM font déjà l'objet de VLE, valeurs limites d'émission.

La liste actuelle, qui fait l'objet de limites maximales de rejets à l'atmosphère, précisées en milligrammes par m3 de fumées, est donnée dans l'annexe V de la directive européenne 2000/76/CE

Bien noter que sont comptés non seulement le métal concerné, mais également ses composés, exprimés en métal :

cadmium (Cd), thallium (Tl) : 0,1 milligramme (100 μg) par m3 de fumées

mercure (Hg) : 0,1 milligramme par m3 de fumées

Total antimoine (Sb) + arsenic (As) + plomb (Pb) + chrome (Cr) + cobalt (Co) + cuivre (Cu) + manganèse (Mn) + nickel (Ni) + vanadium (V) : 1 milligramme par m3 de fumées


HAP (Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques)

Ce sont des Hydrocarbures Aromatiques à forte teneur en carbone (la molécule la plus simple est le naphtalène). Certains d'entre eux sont considérés comme toxiques. Ils sont présents dans les suies et les goudrons générés par la combustion du charbon, du pétrole et du bois par exemple.


Ces considérations me conduisent à grouper les micro-polluants en plusieurs catégories

  • Les composés organiques sans halogénation (HAP, benzène, etc...)
  • Les composés organiques halogénés (surtout chlorés)
  • Les métaux lourds et l'addition en métal de leurs composés
  • D'autres groupes potentiels qui, à ma connaissance, ne sont pas du domaine étudié ici

Les Centres d'Enfouissements techniques (CET)

Les "décharges", quels que soient leurs adjectifs (sauvages...) sont maintenant interdites par la loi, mais de nombreux exemples de ces décharges existent encore en France métropolitaine (la télévision en fait de temps en temps des images saisissantes). L'application stricte des conditions exigées à l'échelon européen devient progressivement la règle nécessaire en France

Les CET de classe 1 comprennent les "produits dangereux"

exemple : les REFIOM (voir ci-dessous) sont obligatoirement stockés en CET/1. Une autre solution technique commence à être appliquée (vitrification à très haute température).

Les CET de classe 2, intermédiaires, "ni inertes ni dangereux" (mâchefers d'incinération)

Les CET de classe 3 contiennent les "déchets inertes"

Il s'agit notamment des déchets inertes du bâtiment et des travaux publics. Il peut s'agir de monomatériaux inertes, mais malheureusement on constate encore que certains matériaux composites y figurent encore, qui n'y sont pas à leur place en raison de la toxicité d'une partie de leur composition.

déchets composites : déchets composés de plusieurs matériaux différents, voire dissemblables. Comme le béton armé, en ciment et fers, ou encore, dans un domaine plus complexe, les appareils électroménagers, qu'il est impératif de décomposer en monomatériaux. Ce qui rend possible le choix de l'alternative: soit la réutilisation, soit le stockage définitif entre les trois classes de CET...et parfois comme combustibles de traitement thermique des déchets

Dernières observations : La carte métropolitaine des CET/1 (produits dangereux) est connue depuis longtemps; ils resteront très peu nombreux (de mémoire, moins de un par région). Il faudrait beaucoup plus de CET/2, mais leur construction se heurte encore à des oppositions des populations concernées. Par contre la carte des CET/3 (produits inertes) est encore trop peu garnie, mais n'offre pas de difficultés majeures quant à l'opposition des populations concernées (qui retiennent le terme rassurant de déchets inertes - voir la problématique, pourtant, ci-dessus-). En revanche les riverains dénoncent à juste titre les autres nuisances inévitables liées aux CET (comme le bruit...). Il relève donc de la responsabilité des élus de trouver des sites adéquats, et de faire accepter les CET imposés par la réglementation.

Les CET répondent aux normes de la Directive Européenne. Mais la France semble faire partie des pays qui utilisent la flexibilité donnée par son calendrier d'application, en choisissant les dernières dates d'application possibles.


Les déchets ultimes (DU)

Les REFIOM (Résidus d'Epuration des Fumées d'Incinération des Ordures Ménagères)

Appelés aussi "cendres volantes" ou encore "fines"

Ils représentent environ 5% du tonnage d'entrée des déchets à incinérer et sont obligatoirement stockés, soit en CET de classe 1 (produits dangereux), soit vitrifiés à très haute température (4000 °C)

Les MIOM (Mâchefers d'Incinération des Ordures Ménagères)

Les mâchefers, qui représentent 20 à 30 % du tonnage d'entrée des déchets à incinérer, doivent être stockés en CET de classe 2 (produits ni dangereux ni inertes)

Certains pays comme la France résolvent la question en deux étapes :

  • 1er stade : Maturation des mâchefers à l'air libre sous des conditions très spécifiques
  • 2ème stade : Les mâchefers sont vérifiés/ sélectionnés (test normalisé AFNOR X31-210). Les tonnages qui y répondent sont utilisés en BTP en assise routière, dans des conditions bien déterminées. Il reste alors des mâchefers résiduels qui doivent impérativement être classés en CET de classe 2.
    A ce sujet, je rappelle que l'incinérateur de Gilly-sur-Isère n'était pas conforme : je renvoie à la conclusion de l'historique concernant l'absence de stockage - pourtant obligatoire - des mâchefers résiduels en CET/2.

Je dois ajouter ici que les techniques de gazéification des déchets permettent, comme au Japon, de vitrifier les mâchefers (voir en rubrique "traitements thermiques des déchets)". Le SIMIGEDA avait tout d'abord retenu l'idée de cette bonne solution dans une première étape d'étude, pour l'abandonner ensuite.


Schéma type d'une gestion saine des déchets ménagers et assimilés

successivement :

  • 1. collecte sélective et déchetteries
  • 2. usines de tri, et gestion particulière des déchets fermentescibles (compostage et méthanisations)
    J'ai l'impression aujourd'hui, que l'objectif national de 50% des déchets ménagers restant à traiter est encore bien loin des objectifs de la circulaire Voynet d'avril 1998.
  • 3. Gestion des déchets résiduels : choix entre un traitement thermique (incinération, co-incinération, gazéification, suivant la directive européenne 2000/76/CE, soit la mise en Centre d'Enfouissement Technique (CET) de classe 2, en fonction des matériaux résiduels

Je regrette vivement qu'en France une opposition systématique et quasi dogmatique à l'"incinération" empêche des débats sereins au sujet du procédé de gazéification, procédé qui, contrairement à l'incinération que nous connaissons, n'est pas une combustion et donc n'en présente pas les mêmes inconvénients.

Enfin j'insiste sur la rigueur à apporter au sujet des déchets. Mon expérience à la Commission de révision du PDED, m'a montré que ce sujet est vaste et très complexe, en constante évolution, et qu'il nécessite donc une grande rigueur scientifique. Or j'ai trop souvent entendu ces thèmes réduits, caricaturés, soi-disant pour les rendre accessibles au plus grand nombre. Il est indispensable d'informer le grand public et de débattre en société des choix possibles, qui posent des problèmes environnementaux mais également économiques et politiques, seulement ces choix doivent se baser sur des connaissances solides, rigoureuses et honnêtes.. Il n'est pas sain de laisser croire au citoyen que la question des déchets est chose simple à régler dès lors qu'il réduit et trie ses emballages, même si c'est évidemment un des noeuds du problème. C'est un peu ce que je ressens en écoutant certains élus, certains médias. On parle rarement par exemple de la question incontournable des déchets hospitaliers, industriels, et des innovations techniques...Et même en orientant nos sociétés vers un mode de consommation plus respectueux de la nature, il restera des déchets à gérer...



La réglementation des déchets en France

J'attire l'attention sur le fait que la France, en matière de gestion des déchets, s'est souvent contentée d'appliquer sa propre réglementation, moins restrictive que les textes européens, tant que ceux-ci n'étaient pas obligatoires. Or le principe de précaution, tellement vanté dans maints discours officiels, eut exigé que notre pays applique dès leur parution les lois et directives EUROPEENNES existantes, qui rendent plus rigoureux les seuils de pollution admissibles.

Pour les personnes intéressées par ce sujet, je résume ci-après les lois concernant les UIOM de moins de 6 t/h, dont faisait partie l'incinérateur de Gilly-sur-Isère.


LES TEXTES REGLEMENTAIRES QUI S'APPLIQUENT AUX UIOM DE MOINS DE 6 T/H

se reporter au glossaire pour les termes techniques.

Je donne tout d'abord les lois françaises concernant les UIOM de capacité < 6 t/h, mais il faut donc bien garder à l'esprit que c'est la réglementation européenne qui est la plus restrictive


Les lois de base sur les déchets ménagers (communes aux UIOM de toutes capacités)

  • loi-cadre n° 75-633 du 15 juillet 1975 : sur l’élimination des déchets, la récupération des matériaux et le renforcement des normes anti-pollution de fonctionnement des unités d’élimination.
    Son article 23: contrainte pour mise en conformité des ICPE, permettant aux préfets d’utiliser la consignation des sommes correspondant aux travaux de mise en conformité non effectués par une collectivité récalcitrante
  • loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 : sur les Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE)
  • loi n°92-646 du 13 juillet 1992 : sur la prévention, la valorisation, l’information du public, l’organisation des transports, la suppression des décharges brutes Sont notamment soulignées la responsabilité du producteur de déchets et les obligations des collectivités locales

Concernant l'UIOM de Gilly-sur-Isère, la 1ère unité (0,9 t/h) a incinéré 100 000 tonnes de déchets ménagers de 1968 à 1985, sans filtre de dépoussiérage, donc sans séparation mâchefers-cendres-volantes.

Arrêté ministériel (Brice Lalonde) de base du 25 janvier 1991, qui a prévu 3 étapes pour les UIOM de moins de 6 t/h :

  • A. 1er décembre 1992 : séparation des résidus solides entre mâchefers et cendres volantes, et imbrûlés inférieurs à 5% (maximum d’imbrûlés de 5%)
  • B. 1er décembre 1995 : diminution des limites de poussières totales et du monoxyde de carbone
  • C. 1er décembre 2000 : dont neutralisation des gaz acides

Pendant les années 1990, la France a donc appliqué sa propre réglementation, avant d'appliquer la réglementation européenne (voir ci-dessous)

Ces 3 étapes concourent toutes, indirectement, à la limitation des principaux polluants, comme dioxines et métaux lourds par exemple. Mais elles ne prennent pas en compte spécifiquement les risques dioxine, en dehors de la maîtrise stricte des conditions de combustion des fours d’incinérateurs. Il est pourtant avéré que des dioxines se reforment lors du refroidissement des gaz de combustion avant rejet dans l’atmosphère.

Concernant l'UIOM de Gilly-sur-Isère, comme l’a conclu l’expertise judiciaire Trépaud, l’arrêté ministériel du 25 janvier 1991 n’a jamais été appliqué complètement par la 2ème UIOM du site de Gilly. J'ai estimé que cette 2ème unité du SIMTOM (3,9 t/h) a incinéré 280 000 tonnes de déchets de 1986 à 2001, en fonctionnant hors réglementation française :

  • A. Une partie seulement de ces exigences n’a été réalisée seulement qu’à partir de septembre 1993. Entre décembre 1992 et septembre 1993 :pas de séparation mâchefers-cendres volantes
  • B. Ces exigences ne semblent pas avoir été appliquées avant 2000. A partir de décembre 1995 jusqu’à décembre 2000 : pas de respect des valeurs-limites des poussières et du CO.
  • C. Là encore les réalisations ne semblent pas avoir été faites avant le second semestre 2001. A partir de décembre 2000 jusqu’à octobre 2001 : pas de neutralisation des gaz acides.

Après l'arrêt de l'usine en 2001, j'ai publié un communiqué de presse pour les Collectifs associatifs, résumant : "...cette unité -la seule actuellement encore de ce genre en Savoie- n’est plus conforme à la réglementation française (arrêté ministériel du 25 janvier 1991), non pas depuis le 1er décembre 2000, mais depuis le 1er décembre 1995.Ce qui, en clair, signifie que depuis fin 1995 et surtout depuis fin 2000 "la production de dioxines", pendant le cycle de combustion des déchets est "favorisée" et n’est pas compensée par une épuration des fumées adaptée aux risques de dioxines."

Autres textes

  • Circulaire du 9 mai 1994 : sur les résidus d’incinération (mâchefers)
    (Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement - MATE)
  • Arrêté du 10 octobre 1996 : sur les limites en rejets atmosphériques des déchets industriels spéciaux (DIS)
    (Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement - MATE)
  • Circulaire ministérielle (Corinne Lepage) du 24 février 1997 : sur les limites en rejets atmosphériques pour les nouvelles UIOM, identiques à celles des déchets industriels spéciaux : elle rend enfin obligatoire, mais pour les seules UIOM NOUVELLES, la limite des 0,1 ngTEQ /m3 en rejets atmosphériques
    (Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement - MATE)

Corinne Lepage a ainsi demandé aux préfets de faire appliquer à toutes les UIOM NOUVELLES les limitations des rejets atmosphériques déjà prévues pour les DIS par l’arrêté ministériel du 10 octobre 1996. Ce dernier arrêté a notamment introduit dans la réglementation française -et pour la 1ère fois- la limitation des rejets atmosphériques en dioxines à 0,1 ng/m3, Et ceci sans attendre la transposition en droit français de la directive européenne de 2000.

Mais pour les UIOM fonctionnant déjà AVANT février 1997, il y a là une lacune grave : avant 2005 (voir la date d'application en droit français de la Directive Européenne du 4 décembre 2000), aucune contrainte réglementaire française concernant des dispositifs de retenue des dioxines avant rejet dans l’atmosphère

Circulaire Dominique Voynet du 3 avril 1998

Concerne plusieurs sujets, notamment un objectif national de 50% du total des déchets assignés à la collecte sélective, au tri, à la réutilisation, au traitement des matières fermentescibles, au stockage définitif en CET...L'objectif final étant de ne pas incinérer plus de 50% des déchets ménagers

Directive européenne 2000/76/CE du 4 décembre 2000

(arrêté et circulaire transposant cette directive dans le droit français en automne 2002.)

Cette directive impose la limite de dioxines en rejets atmosphériques de 0,1 ngTEQ /m3, aux dates suivantes :

  • Pour les installations nouvelles : à compter du 28-12-2000
  • Pour les installations existantes : à compter du 28-12-2005

Pendant près de 10 ans, et pour des raisons économiques, la France a retardé volontairement l’adoption par l’Europe de cette directive, pourtant la seule contraignant à se doter de systèmes de traitement des fumées.

L’application de cette directive n'étant attendue qu’à l’échéance du 28 décembre 2005, je l'ai traduit par une “autorisation légale” de continuer à polluer pendant des années encore.

Donc fin 2005 seulement, l'ensemble du parc d'incinérateurs doit passer à la norme de 0,1 ngTEQ /m3 d'émission en dioxines et furannes.

Il y a des questions de fond auxquelles il faudra bien répondre un jour

Les directives européennes sur la gestion des déchets existent, et, sauf à modifier la loi, devront être appliquées par les 27 états membres de l'Union Européenne.

  • Au niveau départemental, il y a en Savoie un Plan Départemental des déchets ménagers, et des déchets des BTP, datant de 2002. Où en est son application ?
  • Combien de centres de traitement des matières organiques (fermentescibles) à ce jour ?
  • En matière de procédé de traitement thermique des déchets résiduels, se posera un jour le remplacement des deux incinérateurs de Tarentaise
  • Combien de CET/2 sont prévus ? Combien sont réalisés à ce jour?
  • Même question pour les CET/3

retour vers le haut

retour vers la page d'accueil

Mise à jour 5 mars 2010