Affaire de la dioxine
de l'incinérateur
de Gilly-sur-Isère

Pierre Ivanes

Témoignage du professeur JF Narbonne, 9 novembre  2010

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Pierre Ivanès, environnement, écologie et déchets : la pollution à la dioxine de l'incinérateur (UIOM) de Gilly-sur-Isère, Albertville, Savoie. Judiciaire. Plaintes

Je connais le développement désastreux de cette affaire, qui a eu une suite désolante mais attendue. J'ai toujours dit qu'il y aurait du y avoir un procès des incinérateurs ancienne génération du type sang contaminé pour connaître les vrais responsables du retard inadmissible de la France dans l’application des normes européennes (14 ans).

Les études sanitaires réalisées à Gilly-sur-Isère ont été essentiellement d’ordre épidémiologique, ce qui n’a rien donné : la cohorte de gens exposés n'étant pas suffisante pour avoir une différence significative de l’avis même de l’InVS.

Pour aller plus loin dans l’établissement de l’existence d’un risque pour les riverains d’un UIOM polluante il faut passer aux marqueurs d’exposition c'est-à-dire aux dosages sanguins en dioxine. Ces marqueurs peuvent être analysés dans trois types de populations :

  • (1) Population générale vivant en zone exposée ou en zone non exposée
  • (2) Chez les personnes de plus de 50 ans consommant des produits locaux en particulier issus des exploitations sous le panache.
  • (3) Chez les personnes atteintes de maladies pouvant être liées à une surexposition

La grille de lecture des résultats se fait en fonction des valeurs suivantes :

Pour une femme en âge de procréer la première valeur critique est à 50 pg TEQ/g lipides, pour un adulte la valeur critique relative aux effets métaboliques est vers 80 pg TEQ/g lipides et que d’après les études de cohortes de travailleurs exposés la valeur critique pour les risques de cancers est à 300 pg TEQ/g lipides, un seuil de précaution pouvant être établi à 150 pg TEQ/g lipides (voir mon livre « sang pour sang toxique » aux éditions Thierry Souccar).


Dans l’affaire de Gilly la première recherche (1) a été réalisée dans le cadre de l’étude InVS/AFSSA.

Les résultats ont montré que s’il y avait une plus large distribution dans le groupe dit exposé (3 – 42 pg TEQ/g) par rapport au groupe non exposé (3 – 28 pg TEQ/g), aucun individu n’avait une valeur supérieure à 50 pg TEQ/g lipides, le valeurs moyennes étant de 13 et 10,7 pg TEQ/g lipide respectivement n’étant pas significativement différentes. Il est à noter que les chiffres sont proches de ceux de Vaux-le-Pénil, cas assez comparable à celui de Gilly. D’après ces résultats il n’y a donc pas non plus de démonstration d’une surexposition avec risques pour la santé. D’autre part les analyses effectuées dans le cadre des études InVS sur les taux de dioxines dans le lait des habitants de Gilly étaient conformes aux données nationales. En particulier les jeunes mères allaitantes habitaient à Gilly depuis peu de temps et de plus ne consommaient pas systématiquement de produits animaux provenant de la zone contaminée. Ceci confirme que le fait qu’habiter a proximité des émissions n'était pas un facteur de surexposition.


Une étude de type (2) n’a pas été conduite sur Gilly. Or on peut penser que si une étude spécifique avait été conduite selon ce critère de recrutement on aurait observé une surexposition pour cette population cible. Ceci a en effet été réalisé à Vaux le Pénil on a pu montrer que dans la population âgée de plus de 50 ans et répondant aux critères sus mentionnés on pouvait avoir des taux de sur-imprégnation de plus de 50% par rapport à la moyenne nationale pour cette classe d'âge. C’est d’ailleurs ce qui est une conclusion de l’étude InVS/AFSSA ou seuls les individus de plus de 50 ans, consommateurs de produits animaux issus de fermes situées sous le panache des UIOM polluantes, ont une sur-imprégnation avec des teneurs dépassant 50 pg PEQ/g lipides. Une telle étude spécifique n’a pas été conduite à ma connaissance sur Gilly.


Une étude de type (3) a été conduite à Gilly mais de façon très limitée. Dans le cadre de l’enquête judiciaire, quelques dosages de dioxines dans le sang (analyses toxicologiques) ont été effectués chez 9 personnes atteintes de maladies dont 5 femmes ayant un cancer du sein. Chez une de ces femmes on a trouvé une dose massive (>480 pg TEQ/g lipides). Pour ce qui concerne les autres résultats des dosages, les experts ont conclu à l’époque que les valeurs étaient compatibles avec les résultats d’une population normale. Ainsi la conclusion de cette étude a été une non mise en évidence d’une surexposition pour la population malade.

S’il est évidemment important d’effectuer ce type de dosage chez les personnes atteintes d’un cancer, les résultats sont souvent peu concluants car il n’y a pas de cancers spécifiques de la dioxine. Or le cancer du sein chez la femme est de loin le plus fréquent chez la femme et doser systématiquement les dioxines chez des femmes ayant un cancer du sein et pour un nombre limité de cas a de grande chance de ne pas donner de résultats montrant un lien de causalité, même si l’exposition aux dioxines peut favoriser l’incidence du cancer du sein dans certaines conditions de doses et de temps.

De plus le fait d’habiter dans la zone de retombée du panache ne représente pas un facteur de risque de surexposition. La surexposition ne se fait que via la chaîne alimentaire. C’est pour cela qu’il est plus pertinent de rechercher une surexposition chez les personnes consommant des produits animaux provenant des fermes situées dans les zones de retombées des poussières.

Il faut quand même se rendre à l’évidence que la valeur supérieure à 450 pg/g de lipides mesurée chez une personne de Gilly est très au dessus de ce que l'on a pu mesurer dans la population française, si on se réfère aux données de l'étude nationale InVS (max 73 pgTEQ/g) ainsi que l'étude vaux le Pénil (max 70 pgTEQ/g). On voit donc qu'une telle valeur extrême aurait mérité une étude complémentaire pour savoir d'ou venait cette exposition et si elle touchait d'autres personnes. Il est étonnant qu’une telle valeur pouvant indiquer des risques pour la santé n’ait pas suscité des études complémentaires, à la fois de la part des instances judiciaires que des instances de santé publique.

JF Narbonne, professeur de toxicologie à L'Ecole Nationale Supérieure de Chimie,

de Biologie et de Physique de Bordeaux

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Mise à jour 9 novembre 2010